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DÉCORS EN CORPS, DES CORPS ENCORE

Solo show commissionné par Simone Dibo-Cohen, présidente de l'Union méditerranéenne pour l'art moderne, et réalisé avec le soutien de la Ville de Saint-Raphaël.

Centre Culturel de Saint-Raphaël, de Février à mai 2024.

 Après avoir adopté l’autoportrait comme sujet de prédilection, me rendant ainsi à l’évidence du modèle le plus accessible à moi-même, et ce, dès la première année d’études à l’école des Beaux-Arts. Après avoir expérimenté l’art sur ma propre personne, afin de me construire en tant qu’artiste cobaye. Après avoir ensuite offert ma démarche à un très grand nombre de participants, par les happenings, les vidéos et les mises en scènes photographiques, réunissant plus d’un millier de modèles au fil des décennies. Après m’être aussi concentré sur l’exercice d’une seule muse, j’ai fini par souffrir d’un trop plein de représentation des individus, jusqu’à souhaiter effacer les visages, tout en continuant à œuvrer sur l’évocation de la figuration humaine, sans même la montrer.

 

La partance du sens de lecture prévu pour la visite de l’exposition « Décors en corps, des corps encore » poste d’abord le visiteur dans un couloir étroit dédié à cette précédente période de ma création, celle ou les traits de ma muse s’effacent sur les murs d’un « muséum » vide. Cette évaporation ectoplasmique introduit l’hexaptyque de 2016 intitulé « Le passage ». Cette œuvre formée de 6 photos préfigure ce désir d’explorer le gommage de l’humain à travers la représentation de ce qui le symbolise, à l’instar de cette croix subliminale qui, tel un puzzle, apparaît seulement une fois les 6 visuels rassemblés. Le crucifix est de toute évidence une façon d’évoquer le corps, au même titre que la présence de l’élément architectural gothique issu d’une église vue de ma fenêtre. Or on le sait, de tels édifices vus du ciel, sont souvent censés représenter une croix, donc le corps. Ce corps allongé sur la croix, c’est la base architecturale même des fondations de tant de cathédrales. On pourrait déduire que les entrailles de la représentation de ce corps sont les décors de théâtre du culte voué au christianisme. À ces bannissements de la chair répond celui du visage christique, ici absent dans la ré-interprétation de l’iconographie du mythe lié au voile de Sainte Véronique, patronne des photographes (L’hexaptyque du voile, 2018). Cet acte d’effacement n’est pas sans nous rappeler les iconoclastes religieux et politiques.

Force est de constater que la majeure partie de l’histoire de l’art n’est que désobéissance au deuxième commandement inscrit dans l’ancien Testament en Exode 20:4 en ces termes : « Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre... ». L’histoire de l’art serait-elle donc depuis son commencement synonyme de désobéissance et d’insoumission ?

Tout comme l’histoire est un éternel recommencement, je prends alors plaisir à considérer mon art comme une machine à démonter le temps, plus qu’à le remonter, même si à travers cette exposition je renoue avec mon passé par un retour massif à l’autoportrait et à celui des autres. C’est au sortir de cet étroit passage, que le visiteur peut se rendre compte que cette période de
l’effacement ne fut que de courte durée, et que le come-back incontestable du portrait s’étale alors avec exubérance sur 3 salles, 3 ambiances, dans lesquelles les Raphaëlois sont ici mis à l’honneur.

 

En contrant la laideur des chantiers à travers leur sublimation, ou en déployant le spectacle ultime et grandiose de la désolation, les œuvres présentées se déclinent sur plusieurs axes autour de la représentation du corps, du portrait et du décor :

Corps en chantier, en construction, en croissance (adolescence). Visage en ruine, en destruction, en décrépitude (vieillesse). Corps en reconstruction, en transformation, en mutation...
Effectivement, dans la salle dite de la Cène, une « nef » d’échafaudages en bois sert de support pour présenter la mise en abyme d’une série de 12 caisses servant de socles pour des photos représentant des coffres de transport d’où sortent des portraits de seniors émergents des décombres, comme sculptés dans la pierre. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ces tableaux de ruines n’existent pas dans la réalité, ni dans aucun musée.

À l’aide d’outils informatiques comme Photoshop, et d’applications de smartphone, j’ai imaginé les futurs vestiges de certains édifices religieux encore bien en place, comme le prolongement du corps de ces Raphaëlois et Raphaëloises endossant chacun la peau d’un apôtre. Ces visions d’anticipation d’une apocalypse sublimée à la moderomantique, et inspirée du style de Caspar David
Friedrich, ou encore de Hubert Robert, représentent 12 sanctuaires de la chrétienté conservant encore les reliques des apôtres du Christ. Pour résoudre l’énigme qui consiste à savoir qui représente qui, et sur quel édifice est greffé chaque buste, il faut se calquer sur la cène de Léonard de Vinci, garder l’identité ainsi que l’ordre d’emplacement de chaque personnage de la fresque du maître, et chercher dans quelles enceintes sont conservées leurs reliques respectives. C’est là que le visiteur pourra reconnaître la Basilique Saint-Jacques-de-Compostelle, la Basilique Saint-André à Patras, la Basilique Saint-Pierre au Vatican, etc...

 

Entre l’évocation de la réserve d’œuvres d’un musée, le décor d’un chantier de restauration, et la pseudo-découverte de vestiges inexistants par un « urbexeur » imaginaire, je tente de poser un regard poétique et allégorique sur nos aînés, sur les mémoires et la fin d’un monde.
 

En parlant de mémoire, rappelons que 2024 commémore l’anniversaire des 80 ans du débarquement de Provence. Quelques œuvres de l’exposition sont clairement dédiées à cet événement. D’autres le suggèrent.
Aux décombres d’une apocalypse magnifiée façon 19e siècle, se succèdent les ruines de la seconde guerre mondiale vouées à la reconstruction. La plus visuellement marquante reste celle du bombardement du viaduc d’Anthéor retranscrit ici de 2 manières dif- férentes .

Après les retraités de Saint-Raphaël, je me suis tourné directement vers la représentation de leurs antipodes. C’est sur 2 fresques monumentales que j’immortalise la jeunesse Raphaëloise, et majoritairement les adolescents du Lycée Antoine de Saint-Exupéry.
Les fresques Le Vianduc, et En corps massifs , furent au départ inspirées par les photos du Viaduc d ’Anthéor estropié .
Sur ces fresques, le paysage et la végétation de l’Estérel se mélangent aux corps des adolescents. Sans faire figurer l’horreur et les plaies issues des conflits, je rends hommage à tous ces anciens jeunes, soldats et résistants aux corps meurtris et déformés par la guerre (ceux que l’on appelle aussi les gueules cassées). Dans ces 2 fresques tout semble devenir organique, des roches à l’architecture, de l’eau aux végétaux, des armes au textile, le motif même du tissu de camouflage est un assemblage de photos de peaux de mes différents modèles. Tout devient corps. « Tu es poussière et tu retourneras poussière ». À cette triste sentence biblique, mes fresques semblent répondre : Tu es corps et tu deviendras corps fort ! Et d’ajouter malheureusement : Ils devront forger leurs bras en armes, et leurs corps en chair à canon. Au lieu de : Ils devront forger leurs épées en socs de charrues et leurs lances en cisailles à émonder. Ces paroles bibliques gravées devant le siège de l’ONU à New York ne sont pas sans rappeler que les grandes querelles de l’histoire sont majoritairement, depuis la nuit des temps, des guerres de religion.

 

Mais d’autres conflits sont en marche : la bataille des images, les troubles de l’eau, la guerre du climat...
 

On termine ainsi l’expo sur l’évocation de faits qui ont visuellement marqué 2022 et 2023 dans les musées, avec les opérations coup de poing des activistes de « Just stop oil », qui, aux prémices d’une nouvelle lutte mondiale liée à l’hécatombe du changement climatique, se mettent en scène en s’attaquant aux chefs-d’œuvre muséaux.
 

Alors retour à la case départ ! La boucle est bouclée ! Avec les dernières pièces du parcours, le visiteur s’arrête presque là où il a commencé. De la silhouette de l’homme activiste recouvert de peinture dégoulinante, ne reste plus que ce paysage romantique d’un Saint-Raphaël d’avant-guerre ressuscité, où la beauté du paysage cherche à reprendre ses droits en effaçant l’humain !

C’est ainsi que s’achève l’exposition, tel un arroseur arrosé.

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