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"MEHDUSINE", exposition de Cédric Tanguy à RURART, Poitou-Charentes. Du 9 février au 22 avril 2012. Mehdi Chaoui incarne Mehdusine. Une partie de l'expo a été réalisée dans le cadre d'une résidence d'artiste au Lycée agricole de Poitiers-Venours.

 

À la fois photographe, infographe, performeur, Cédric Tanguy mêle histoire de l'art, imagerie populaire et clichés publicitaires pour construire de toute pièce une iconographie dont il est à la fois l'auteur, le sujet, le centre et le prétexte. S’il confesse une fascination pour le détournement de l’art pictorialiste en particulier, il en propose des relectures qui s’appuient sur le croisement numérique entre une forme de facture classique et un fond plus politique, lié aux événements et aux pratiques sociales qui traversent le monde contemporain. Ainsi Cédric Tanguy réécrit-il l'art, l'Histoire et les mythologies à l'aune des mass-médias, de la postmodernité et de l'hyper-communication. À l'invitation de Rurart, l’artiste s'empare de la légende de la fée Mélusine pour en proposer une version toute personnelle, mêlant voyeurisme et guerres de religion. La légende de la fée Mélusine date du XIIIe - XIVe siècle. Épouse du seigneur Raymondin, Mélusine apporte paix et prospérité au comté, à condition que son mari ne cherche pas à la voir le samedi, lorsqu’une malédiction la transforme en femme serpent. Malheureusement Raymondin rompra cette promesse et Mélusine s’enfuira, pour ne jamais revenir. Sept cents ans plus tard, Cédric Tanguy présente un ensemble d’œuvres autour de Mehdusine, créature hybride d’origine nord-africaine à la sensualité troublante malgré sa queue de serpent. L’inspiration orientaliste des images fait écho aux origines de la légende de Mélusine : on trouve trace dans l’histoire locale d’une épouse Sarrasine d’un seigneur de Lusignan, Hugues VII, ramenée des croisades au XIIe siècle, ce qui amène à penser que l’hypothèse de voir les vieilles familles mélusines héritées d’origines arabes n’est pas complètement infondée, sur un territoire très peu cosmopolite et très peu marqué par les immigrations successives du XXe siècle. Il faut aussi rappeler que le Poitou était le cadre de la bataille de Poitiers en 732, qui a vu Charles Martel contrer l’expansionnisme arabe vers l’Europe du Nord. A l’heure où la question identitaire est plus que jamais au cœur du débat de société dans les démocraties occidentales et où elle apparaît particulièrement clivante dans la France de ce début de XXIè siècle, le traitement qu’en propose Cédric Tanguy peut paraître provocateur et irrévérencieux. Il est davantage humaniste et universaliste, dans le dialogue qu’il stimule entre une culture patrimoniale en passe de se muséifier et un monde contemporain habité par la complexité. Ainsi Mélusine peut-elle apparaître au croisement culturel des civilisations orientales et européennes. Des historiens y voient une reine de Jérusalem. On trouve trace de femmes serpents symboles de fertilité ou de protection dans les civilisations égyptiennes ou sumériennes. Au Moyen Âge la queue de serpent de Mélusine devient un symbole chrétien de la diabolisation de la femme. En jouant de cette symbolique, l’artiste affuble un jeune maghrébin de cet attribut discriminant et pose ainsi un double questionnement, tant au niveau de l’individu que du système religieux : quelle est la place dans la société contemporaine des jeunes d’origine étrangère, a fortiori dans un territoire rural qui ne reçoit que l’écho médiatique des questions que soulève l’immigration dans les zones les plus sensibles ? Quel dialogue interreligieux est en voie aujourd’hui dans un état laïc pluriculturel, entre un islam prosélyte et un catholicisme déclinant ? Dans une région fortement marquée par les guerres de religions entre catholiques et protestants, dont l’héritage peut être encore aujourd’hui sensible dans certains villages, Cédric Tanguy décale le propos dans un détournement de l’iconographie religieuse qui repose sur de multiples rapprochements et raccourcis, dans une confusion maîtrisée qui singe le flux médiatique actuel et le nivellement de l’information : ainsi l’artiste puise-t-il son inspiration à la fois dans les cultures chrétiennes et musulmanes, dans l’histoire médiévale et à l’actualité contemporaine, dans le sacré et le profane, dans les mythes et légendes et dans la réalité triviale. Cette appropriation d’une histoire locale, sa relecture contemporaine, le dialogue qu’il initie entre l’histoire de l’art, l’image religieuse et la culture populaire, constituent le socle de la démarche plastique de cet artiste atypique, à l’articulation entre la singularité d’un territoire ou d’une époque et l’universalité de l’art ou des questions de société.
Arnaud Stinès.

 

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